ENJOY In quest of pleasures

Hédonisme exalté et optimisme retrouvé

Peut-être plus que toute autre génération, les adultes d’aujourd’hui semblent bien décidés à ne pas oublier les enfants qu’ils étaient hier, nostalgiques de l’insouciance qui régissaient leurs existences au tournant du nouveau millénaire. Les références régressives et la philosophie récréative inspirent et animent ces survivants du bug de l’an 2000, lassés de la morosité qui s’est installée plus de vingt ans après un début de siècle pourtant riche de promesses. Coup de balais sur l’austérité et la frugalité imposées par un contexte global au paroxysme de l’anxiogène. Car « optimisme » et « plaisirs assumés » ne sont pas incompatibles avec les enjeux à l’œuvre et les nécessaires transformations de notre société. Une consommation vertueuse et raisonnable peut être synonyme d’un hédonisme décomplexé et moteur de créativité.

Pour ré-enchanter notre quotidien, les créateurs contemporains inventent alors un nouveau mode de dialogue avec la nature, l’environnement et leurs semblables, pour nourrir la curiosité. Une approche bien comprise et assimilée du côté de chez Wow!, le fond créé par Airbnb pour favoriser l’émergence, aux quatre coins du monde, des projets architecturaux écoresponsables les plus inventifs. Au Big Idaho Potatoe Hotel, il est donc possible de passer une nuit dans un bâtiment en forme de tubercule, ou encore lové au creux d’un crâne de dinosaure fossilisé en plein désert. Loin d’une quête individualiste et – avouons-le, un peu folle – cette démarche stimule une créativité libératrice et réjouissante tout en valorisant le patrimoine, en promouvant la culture et en favorisant le lien social.

DESIGN ET PLAISIR : UNE VALSE À TROIS TEMPS

Si tous les chemins peuvent mener au plaisir, Maison&Objet a défriché pour vous trois axes majeurs pour mieux vous orienter sur la carte du bonheur au pays du design : « expressivité séductrice », « créativité libératrice » et « sensibilité augmentée ». Trois sentiers pour s’évader des conventions et de l’académisme, pour cheminer librement dans les imaginaires fertiles et joyeux des créateurs d’aujourd’hui. Ceux-là même n’hésitent pas à emprunter tous les chemins de traverses créatifs, au carrefour des inspirations et des influences, pour oser une grande fantaisie des mélanges dont les hybridations formelles exaltent nos sens.

Expressivité séductrice

Cette première grande route de la joie voit défiler une caravane de marques et de créateurs qui n’ont pas peur de se faire remarquer. Dans cet allègre cortège, la créatrice Charlotte Chesnais enjambe gracieusement la frontière entre haute joaillerie et design avec une collection de bougeoirs développés en série limitée pour l’emblème du luxe à l’italienne Loro Piana. Objets précieux agissant comme des parures intérieures, les formes organiques et fluides de ces pièces sont caractéristiques du travail de la bijoutière parisienne. À branches simples, doubles ou triples, ces exquis bijoux déco se déclinent en or, argent et bronze. Si leurs bases aux lignes libres, sensuelles et voluptueuses nous séduisent, c’est qu’elles sont l’expression même du plaisir éprouvé par la créatrice à tous les stades de la conception : “J’ai besoin de m’amuser pour explorer les formes !”, confie-t-elle. “C’est en partageant et en m’amusant avec les ateliers et les artisans avec qui je collabore que les bonnes idées émergent.” 1

 
Parés de leurs plus beaux atours, nos intérieurs se transforment en lieux de fêtes et rendent nos quotidiens plus flamboyants. Né de la rencontre des créatrices Julie Hugau et Andrea Larsson, la ligne de conduite de Reflections Copenhagen embrasse cette esthétique festive. Andrea Larson l’assume : “Le postulat de départ de notre marque est venue d'un besoin d'injecter du plaisir dans la maison.” Les danoises se spécialisent ainsi dans des décors tout en cristal, créés dans le charme d’un style Art Déco transfiguré par des couleurs vives et des formes graphiques. “Nous orientons toujours notre travail dans la direction que nous trouvons la plus amusante” poursuit Andrea Larson, “Cela fait parfois de nos pièces des installations artistiques plutôt que des objets strictement fonctionnels.” 2 Les miroirs surréalistes, serre-livres ou tables chamarrées en cristal, répondent donc autant à leurs fonctions premières qu’ils permettent des jeux de réflexions, de séduction et de désirs. En résulte une déco pratique mais où prime le glamour intemporel, ressuscité des boudoirs des années folles ou des nightclubs disco, pour que ni la nuit, ni l’ivresse, ni la fête, jamais ne cessent ! 

Créativité libératrice

Pour cette seconde échappée belle « destination plaisir », plusieurs artistes, architectes et designers clament le droit à la rêverie et revendiquent un optimisme radical. À l’image de l’iconique Jean-Charles de Castelbajac – invité d’honneur de l’édition du précédent salon et pionnier d’une esthétique de la fantaisie jouissive – une nouvelle génération de créateurs lui emboite le pas avec des pièces inspirées de leurs propres utopies. Ainsi en va-t-il d’Emanuele Stamuli et de son jeune studio éponyme basé à Stockholm. Mue par le désir d’offrir une nouvelle perception de la réalité, Stamuli propose une expérience régressive qui rationalise la forme pour mieux faire exploser les sensations, notamment visuelles. “Le but de ces objets est d'être perçus comme une manifestation éclatante des couleurs à l’état pur, afin de créer une rupture avec les mornes tonalités domestique et permettre une évasion hors de l'ordinaire”,3 explique-t-il. Au-delà des couleurs franches, les contours simplistes des tables, chaises et miroirs de la collection Tagadà invitent-elles à nous amuser avec d’audacieux jeux d’échelles, évoquant le ludique d’une maison de poupée à taille humaine.   

Couleurs aveuglantes et fantaisies des proportions nous guident vers des territoires expressifs résolument plus « fun ». Cette dynamique du positif se révèle également très prégnante chez l’éditeur de design Pulpo qui y ajoute une dimension poétique. Fondée en 2006 par le couple allemand Patrick et Ursula L’Hoste, Pulpo collabore avec des designers renommés parmi lesquels figurent notamment Sebastian Herkner, Elisa Strozyk et Harry Thaler. Pour la série de lampes Flaming Stars – en référence au Western américain de 1960 catapultant Elvis Presley sur grand écran – c’est avec l’artiste céramiste britannique Natascha Madeiski que la marque collabore. Cette collection inventive, autant clin d’œil au Tennessee du King qu’à l’esthétique « italo-eighties » du courant design fondé par Ettore Sottsass, entremêle les époques et les références pour nous emporter dans sa nostalgie joyeuse . Une rêverie édulcorée où formes et matières se transmutent en d’étonnantes sculptures luminaires.

Sensibilité augmentée

La troisième voie vers le plaisir pourrait bien être intérieure. Lorsque le bien-être est associé à un retour à l’essentiel, le plaisir n’est plus dans l’exubérance mais dans une exploration ultra-sensible. La technologie devient une porte d’entrée vers de nouvelles perceptions de soi, vers un bien-être ludique, décomplexé et plus et accessible. La recherche de plaisir passe alors par une immersion sensorielle. Sa traduction matérielle suggère des formes et des sensations nouvelles comme l’architecture métallique minimaliste et répétitive des étagères Fréquence de Jean Couvreur pour Kataba, ou encore les créations douces et arrondies de Théorème Éditions. Exposé pour la première fois en France lors de la Paris Design Week, cette nouvelle maison d’édition française fondée par David Giroire et Jérôme Bazzocchi place la haute technicité au service de la poésie visuelle et formelle. L’assise Constantin développée avec Francesco Balzano est ainsi coulée dans un solide bloc de résine. L’absence de jointure permet à la lumière de traverser l’objet qui apparaît comme en suspension dans son espace – un espace intérieur autant que mental.

Interroger son environnement en flirtant avec la limite du monde tangible, voilà qui inspire une nouvelle scène bouillonnante et résolument tournée vers l’avenir. L’usage des nouvelles technologie et outils d’aujourd’hui tels que l’impression 3D ravit l’appétit créatif du jeune et dynamique collectif Hall Haus, qui ajoute à cette recherche une importante démarche d’examen socio-culturel et de transmission. Fondé en 2020 par Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari, Hall Haus navigue avec malice et impertinence entre brutalisme urbain et un design industriel propres aux quartiers périphériques, pour en réinventer les codes et l’esthétique. Inspirés par l’univers du hip-hop autant que par le Bauhaus, le collectif s’est amusé, avec le fauteuil Curry Mango développé par des outils de fabrication numérique, à réinterpréter la fameuse chaise pliante de camping très en vogue dans les cités. Le plaisir passe alors ici par une célébration de cette jeunesse qui, comme souvent, anticipe et dicte la tendance de demain. Une tendance dont seront certainement nostalgique un jour les adultes que ces jeunes deviendront, poursuivant dans le temps la ronde joyeuse d’une création en perpétuelle réinvention. Alors entrez dans la danse et… Enjoy !   

1.    New Brand To Know: Charlotte Chesnais, Lorelei Marfil, Forbes.com, 5 janvier 2021
2.    Reflections Copenhagen: When Interior Meets the Arts, Illum.dk 
3.    Swedish design studio Stamuli unveiled its eye-catching Tagadà collection at Edit Napoli 2021, Kieron Marchese, Designwanted.com, 12 novembre 2021