Rising Talent Awards Jan. 2025 : La Corée du Sud dynamise l’international

Comme de coutume, tous les lauréats des Rising Talent Awards 2025 ont moins de 35 ans et ont créé leur studio il y a moins de 5 ans. Les langages qu’ils tissent sont marqués par un futurisme affirmé, des signatures épurées et par une réinvention de savoir-faire sculpturaux.
 

Dahye Jeong

LA TROISIÈME DIMENSION DU TISSAGE
Jeong Dahye, 34 ans, tisse du crin de cheval sur des moules en bois inspirés par les antiquités anciennes et les céramiques traditionnelles coréennes.

Maison&Objet : D’où est venue l’idée de tisser en trois dimensions ?
Dahye Jeong : J’ai découvert le crin de cheval – patrimoine culturel immatériel national qui subsiste dans ma ville natale, Jeju –, en participant à un projet de promotion de l'artisanat local. J'ai été captivée car, bien qu'il s'agisse d’un art de la fibre aux techniques simples, il permet de créer une grande variété de formes tridimensionnelles.
M&O : Comment choisissez-vous vos formes ?
D. J. : J'ai commencé par des triangles, des carrés, des cercles dans lesquels j’ai vu traverser le soleil. C’était comme si mes formes créaient leur propre lumière. Je me suis ensuite intéressée aux poteries anciennes car, bien que primitives et simples, elles transmettent un sentiment de puissance. Je cherche à exprimer la puissance douce mais forte qui émane du crin de cheval.
M&O : Le temps est-il une matière première pour vous ?
D. J. : Oui car je sélectionne les poils un par un puis les tisse à l’aiguille… Certains jours, le tissage de 2 cm me semble insurmontable mais travailler sur un projet qui demande autant de patience m’a apporté un grand réconfort dans les moments où je n’étais pas sûre de l’avenir.

Kuo Duo

ÉTINCELLES ENTRE ÉDITION LIMITÉE ET DESIGN INDUSTRIEL
Hwachan Lee et Yoomin Maeng, fondateurs de Kuo Duo en 2021 à Séoul, expérimentent à partir des méthodes traditionnelles de traitement du bois ou celles du plastique recyclé.

Maison&Objet : Vous explorez « les limites du design ». C’est-à-dire ?
Kuo Duo : Nous avons rencontré diverses philosophies et méthodologies de conception qui ont façonné notre compréhension multiforme du design. Notre créativité émerge lorsque nous remettons en question nos idées préconçues, lorsque nous visons de nouveaux défis pour atteindre des résultats imaginatifs et expansifs, lorsque, donc, nous touchons aux limites du design.
M&O : Des étagères en marbre, des sofas en plastique, des vases en bois… le rôle des matériaux est-il de créer la surprise ?
K. D. : Cela permet une expression plus libre et expérimentale des idées. Notre studio inclut la conception d’espaces et le conseil en stratégie. Travailler en continu sur de telles pièces d'édition peut aider à susciter de nouvelles idées, à évoluer vers un projet où de nouveaux produits sont fabriqués en série à partir de ces pièces. 
M&O : Comment distinguez « installations spatiales » et « design tridimensionnel » ?
K. D. : Nous nous décrivons comme un studio de design industriel pour le design tridimensionnel. Nous utilisons « installations spatiales » pour la conception d’espace et « design tridimensionnel » pour la fabrication d’objets en 3D.

Minjae Kim

LA LUMINESCENCE BOISÉE
Artiste coréen de 34 ans, Minjae Kim conçoit à New York du mobilier agissant comme une antithèse à la pratique architecturale (il est diplômé en architecture) en termes de temps, d'échelle et d’accessibilité.

Maison&Objet : L’architecture vous a conduit au mobilier. Qu’est-ce qui vous a conduit à New York ?
Minjae Kim : Dans le programme de l’école d’architecture de Seattle, un atelier de fabrication de meubles m’a permis d’imaginer ma première chaise. J’ai continué l’architecture à l’université Columbia à New York sans abandonner mon intérêt pour le design.
M&O : Pourquoi travailler la fibre de verre matelassée ?
M. K. : J'ai trouvé la méthode traditionnelle de fabrication de moules et de superposition de fibre de verre salissante et frustrante. J'ai pensé à accumuler les couches en matelassant la structure et en introduisant de la résine. Cela m'a permis de créer des volumes importants sans avoir besoin d’un grand espace ni d’un atelier de menuiserie. 
M&O : C’est le côté irrationnel de vos créations qui provoque l’émotionnel ?
M. K. : C’est sans doute dû au fait que je concentre mes efforts sur l'indéfini. Pour une chaise en bois par exemple : sur la base de mon dessin, un menuisier livre la chaise vierge et je retire de la matière pour découvrir des lignes et des volumes que j’aurais été incapable de définir dans le dessin préliminaire. J’aime soustraire la matière alors que j’ai appris à faire l’inverse en architecture.

niceworkshop

LE PRIMITIF MÉTALLIQUE
Basé à Séoul, le studio explore les propriétés physiques des matières industrielles. Huyunseog Oh, 30 ans, et Sangmyeong Yoo, 27 ans, transmettent un nouveau langage design, entendu sur les chantiers et traduit dans les galeries d’art.

Maison&Objet : Comment est venue l’idée de vous inspirer des boulons ?
Huyunseog Oh : Alors que je travaillais comme superviseur de chantier, j'ai vu des boulons entièrement filetés utilisés comme matériaux de plafond. C’est à ce moment-là que j’ai imaginé d’en faire des meubles.
M&O : Quels sont les atouts et les difficultés d’une exploration du métal poussée ?
H.O. : Je me concentre sur l'acier inoxydable et l'aluminium. Mon expérience la plus caractéristique sur le traitement de surface est une variété de textures de bois gravées à la main sur le plan métallique, réconciliant nature et métal.
M&O : Votre design insuffle-t-il de la folie à l’esthétique industrielle ?
H.O. : Plutôt que l’esthétique, c’était la possibilité de réutiliser les matériaux de chantier qui nous a intéressés. Notre démarche est clairement liée à leur durabilité. Temporaires, jetés, nous les transformons en œuvres de design contemporain.

Sisan Lee

LA SEDUCTION ANTINOMIQUE
Sisan Lee, 29 ans, basé à Séoul, crée du mobilier sculptural et des luminaires dignes d’installations muséales. Associées à des plaques d'acier manufacturé, les pierres brutes répondent au désir d’équilibre entre nature et artefact.

Maison&Objet : Pourquoi laisser les pierres naturelles déterminer vos formes ?
Sisan Lee : J’ai été attiré par le caractère unique des pierres que je ramassais, qui contrastaient avec les standards du système industriel. Et je trouvais la pierre traitée moins belle que naturelle. J’ai donc opté pour la préservation des propriétés physiques de la nature jusqu’à accepter l’idée qu’elles déterminent la forme ou la taille de mes meubles.
M&O : Nature / ville, primitif / moderne, naturel / artificiel. Les antonymes vous inspirent !
S. L. : Je m’intéresse aux moments où des concepts contradictoires entrent en collision. Ce qui me stimule, c’est de trouver un point de contact entre deux extrêmes, chercher où la confrontation rejoint l’harmonie et finalement, créer un équilibre, car il y a des éléments complémentaires dans les relations opposées.
M&O : Comment le dialogue pierre / métal, cuir / bois sert-il votre réflexion ?
S. L. : J’aime la conversation entre les matériaux conflictuels. Ils ont leurs propres propriétés mais réunis, ils créent de nouvelles significations. Le poids de la pierre, la souplesse du cuir, la chaleur du bois et la froideur du métal fonctionnent de manière complémentaire pour donner un sens complexe à l’œuvre.

WooJay Lee

LA VALEUR DE L’INVISIBLE
WooJay Lee s’inspire de détails faibles, même ignorés, de notre environnement quotidien pour fabriquer de solides bancs, socles, briques et cloisons. Coréen-néo-zélandais, il est diplômé d’universités hollandaises et australiennes.

Maison&Objet : Pourquoi le vieux papier comme matériau ?
WooJay Lee : Les vieux journaux ou prospectus sont tellement ancrés dans notre quotidien qu’ils sont devenus invisibles, on les jette sans presque s’en rendre compte. Un jour, j’ai éprouvé de la pitié pour eux et je me suis fixé comme objectif de leur donner une nouvelle vie où ils seraient plus forts, plus beaux et plus précieux.
M&O : C’est une déclaration d’amour aux imperfections ?
W.J. L. : Plutôt aux aspects sous-estimés du quotidien, aux détails inaperçus. Les murs blancs d’une galerie, les coins oubliés d’une pièce, les fissures des briques… des éléments formant la toile de fond de nos vies et qui restent inexprimés. Ils évoquent l’imprévisibilité de la vie elle-même, où les imperfections ont un sens et une valeur.
M&O : Votre travail s’expose en galerie d’art, est-ce toujours du design ?
W.J. L. : J’ai souvent été confronté à cette question : art, design ou l’artisanat. Pourquoi ces délimitations ? Pour rester sur les rails de l’Histoire ou simplement pour fixer un prix à l’objet ? Le lieu d’exposition ou de vente d’une œuvre ne devrait pas avoir d’importance.

In Yeonghye

Talent Craft
L’EXPLOSION DOUCE
In Yeonghye prend goût à la fabrication manuelle dans le magasin de meubles de ses parents. Depuis, elle travaille les textiles de manière émotionnelle en produisant des dessins cousus, des meubles et des objets d’art.

Maison&Objet : Un papa vendeur de meuble, une maman diplômée en design textile. Votre travail est la collision entre ces deux domaines ?
In Yeonghye : Ma mère confectionnait des vêtements de tous les jours, et des vêtements traditionnels comme la robe « han-bok » et mon père m’a inculqué l’amour de la création, des objets. Ce mélange d’influences façonne mon travail où j’utilise le tissu comme matériau principal. 
M&O : Quelles techniques utilisez-vous ?
I. Y. : Pour les dessins de tissus, je pars de mes carnets de croquis et réalise de simples esquisses de fils tirés à la main, puis je termine à la machine à coudre. Pour les meubles ou les objets, c’est l’inverse : j'utilise la machine pour créer les éléments de base que je relie et façonne avec des coutures à la main.
M&O : Votre travail est profondément immersif. Pourquoi ?
I. Y. : Introvertie, me sentant empêchée d’exprimer mes émotions, j’utilise mes œuvres comme moyen de communication. Ces textures douces sont une façon de raconter mon histoire, aussi insignifiante soit-elle. Quand mon récit prend la forme d’une chaise, ce simple objet est transcendé par l’expression libérée.