Il y a trente ans, Pierre Dubois et Aimé Cécil Noury créaient Les Héritiers avec l’idée de dépoussiérer le style français. Leur succès a fait revivre de multiples artisans.
« Quand je me lève le matin, dit Pierre Dubois, je me dis que j’ai beaucoup de chance et que je suis un homme heureux. Je vis de ma passion, et en même temps, je suis comme un chef de tribu qui doit nourrir tout le monde. » Avec son complice, Aimé Cécil Noury, les deux hommes sont « Les Héritiers ». Leur entreprise de meubles et d’accessoires de décoration se veut le dépositaire d’un style traditionnel français qu’ils s’emploient à faire évoluer pour mieux l’inscrire dans la modernité. Dans le droit fil de la tradition : la main des meilleurs artisans sélectionnés dans toute la France. Pour la modernité : des lignes classiques avec un twist épuré. Il y a trente ans, l’artisanat français vivait le creux de la vague, concurrencé par des fabricants étrangers dans un marché dominé par la course aux prix bas. C’est en partant de ce constat désolant que les deux futurs associés se sont lancés en 1993 dans un tour de France à la recherche des savoir-faire qui pourraient donner vie à leur projet : une marque de décoration qui renouvelle la tradition et offre des débouchés aux artisans locaux. Les deux hommes sont passionnés d’antiquités et d’art contemporain. Ce qui n’était qu’un hobby a fini par inspirer leur métier. Pierre Dubois a été journaliste, attaché de presse. Aimé Cécil Nourry était infographiste dans le milieu industriel. Nourris de solides références historiques, ils dessinent leurs premiers objets. « Nous ne bridions pas nos ateliers, nous leur laissions le temps de faire beau et bien. De notre côté, nous avons appris à comprendre leurs métiers pour mieux poser notre regard contemporain sur des techniques anciennes, dans un juste équilibre. » En septembre 1993 ils sont prêts. Ils réservent 21 mètres carrés au salon Maison&Objet Paris. Sur leur stand, ils exposent des cendriers, des vases, un miroir en plâtre, des bougeoirs, quelques céramiques.
Le reste est une success-story. L’idée de l’héritage est tout de suite validée. « A notre grand étonnement, des visiteurs disaient qu’ils avaient l’impression de nous connaître depuis toujours. Le plus beau compliment », raconte Pierre Dubois. Deux heures avant la fin du salon, un acheteur double le chiffre d’affaires de la semaine : 20 exemplaires de chaque modèle. Trois ans plus tard, toujours à Maison&Objet, on les demande pour décorer toute une demeure à Miami. Aux particuliers succèdent les Hôtels de luxe et les collaborations avec les architectes. Enfin ils sont repérés par l’éditeur Roche-Bobois, commence une collaboration qui dure toujours, quatre pièces, puis quarante, puis une collection entière. « Nous avons fait le tour du monde ensemble », raconte Pierre Dubois. Designers et décorateurs, Les Héritiers font travailler des souffleurs de verre, des céramistes, un ébéniste, des fabricants de sièges et de chaises, métallier, bronzier… Leurs bougies d’intérieur sont faites à Grasse, la capitale du parfum. Les ambiances qu’ils imaginent sont chaleureuses et habitées. « Les hôtels que nous décorons racontent des histoires. Le Strato à Courchevel est ponctué de références à l’histoire du ski, la Lanterne à Paris de dessins d’artistes germanopratins, Les Sept Fontaines à Tournus de références au vin. » Jamais de total look, mais un savant mélange de contemporain, d’antiquités et de pièces exotiques. Avec deux salons par an, exclusivement à Maison&Objet, Les Héritiers distribuent dans 550 points de vente, et réalisent 80% de leur chiffre d’affaires à l’export. « Nous travaillons à quatre mains avec nos tripes, nous apprenons sans cesse de nos clients, nous ne sommes rien sans eux, conclue Pierre Dubois. Nous espérons que nos collections deviennent de futures antiquités que les gens collectionneront. Ça m’amuse, car je commence à voir certaines de nos pièces anciennes chez des marchands. » La boucle est bouclée, ce sera l’héritage des Héritiers.
Par Caroline Tossan
Illustration ©Sarah Bouillaud