Quand Timothée Cagniard annonce à sa famille qu’il souhaite lancer une nouvelle marque française de Hi-Fi, il trouve un premier obstacle sur sa route : sa grand-mère.
« Ne t’engages pas dans cette voie, l’âge d’or est passé » lui oppose-t-elle. La grand-mère de Timothée ? Marie Cagniard Yeramian, fondatrice d’une des plus importantes sociétés françaises de haut-parleurs… en 1938. La haute autorité de la famille. Née à Constantinople (aujourd’hui Istanbul), arrivée en France à 14 ans, d’abord opératrice de composants radio, elle fut une pionnière de l’industrie de l’acoustique française. Dans les années 70 et 80, c’est son fils, Thierry Cagniard, qui avec elle a porté SIARE, la société familiale, au sommet de l’innovation dans l’enceinte haute-fidélité. L’âge d’or dont parle Marie est une époque où les objets les plus désirables de l’électronique grand public étaient la télévision et la chaîne Hifi avec ses enceintes, exposées bien en vue dans le salon. Mais les amoureux du son plein et parfait se sont semble-t-il évanouis à l’orée du XXIème siècle. Il y a d’abord eu la mini-chaîne, mignonne et compacte, inséparable du disque laser et enfin l’explosion de la musique dématérialisée sur ordinateur, puis le streaming sur tablette et smartphone. Le son haute-fidélité, celui dont la bande passante restitue tout le spectre auditif du plus aigu au plus grave, ne s’accorde pas à la nouvelle donne numérique. La société SIARE a fini par être vendue.
« Très jeune, j’ai fabriqué mes enceintes sur-mesure dans la cave de mes parents. J’avais à portée de main de nombreux haut-parleurs SIARE sur lesquels m’exercer »
Timothée et son frère Guillaume ne peuvent se résoudre à cet abandon. La saga familiale doit continuer avec la troisième génération. « Très jeune, j’ai fabriqué mes enceintes sur-mesure dans la cave de mes parents. J’avais à portée de main de nombreux haut-parleurs SIARE sur lesquels m’exercer » se souvient Timothée. Avec Thierry, son père, il apprend les données techniques, le calcul théorique de la taille (en litre) de l’enceinte, le dessin du plan avec une forme propice à l’acoustique, la découpe du bois, la soudure, les tests, les ajustements… « pour arriver au son le plus parfait ». Quand d’autres passent leurs vacances à la plage, Timothée passait juillet chez sa grand-mère, à parler d’entrepreneuriat et de Hifi. « Elle m’entraînait à négocier et à bien acheter sur des stands au marché, me racontait ses aventures de business, m’achetait la Revue du son pour me former à la technique ».
C’est donc en famille, grand-mère, père et fils que les Cagniard ébauchent le nouveau projet. « Nous nous sommes demandé comment faire le lien entre les nouveaux médias numériques et la hi-fi. Les docks iPod qui sortaient sur le marché étaient bas de gamme mais ils avaient pour eux la facilité d’écoute. Nous avons travaillé à la restitution d’un son qualitatif et simple d’accès. » Etape indispensable, en 2008, ils créent un laboratoire de recherche développement, CC LAB. Les premiers brevets sont déposés. Entre autres, la technologie Wide Sound, sans cesse améliorée, qui permet, à partir d’un fichier numérique, de restituer une stéréo large et un son « immersif et puissant ». Ils lancent d’abord un ordinateur et des baffles intégrés tout-en-un dans une structure en bois ressemblant à un jeu d’arcade. Puis ils conçoivent ce qui deviendra leur marque de fabrique : une élégante table d’écoute avec amplificateur et hauts parleurs intégrés, sur laquelle il suffit simplement de poser son ordinateur et de se brancher (concept LD pour “ Laptop Dock ”). La Boite concept est née. L’objet se fait tout de suite remarquer. « C’est à ce moment-là que nous nous sommes dirigés vers le salon MAISON&OBJET pour la distribution. On s’est dit : où vont les gens qui veulent ce genre de produit ? Dans les magasins de meuble ! Le succès a dépassé nos espérances, il y avait la queue sur le stand. Par la suite, nous avons grandi avec MAISON&OBJET. » L’histoire a donné raison aux jeunes entrepreneurs. Le son parfait est devenu le luxe ultime. Il faut désormais compter avec la « french touch », le laboratoire et la fabrication sont basés au Pays Basque. Dans la foulée, le disque vinyle a fait un retour foudroyant. Le pari de la haute-fidélité… à l’histoire familiale, a fini par payer.
Par Caroline Tossan