Prem était une villageoise du Rajahstan dont le karma semblait écrit d’avance.
Depuis 20 ans, Prem tisse des tapis. Elle fait partie des quarante mille tisserands employés par Jaipur Rugs. 80% sont des femmes. Ils réalisent à la main, au moyen de techniques inchangées depuis 2000 ans, des tapis dessinés par de grands designers. Trois mois de travail pour nouer soixante kilomètres de fil de laine en deux cent mille nœuds pour une pièce de taille moyenne. C’est par fascination pour cet artisanat que Nand Kishore Chaudhary s’est lancé dans ce métier en 1978. Son entreprise est aujourd’hui l’un des leaders du sous-continent indien. Mais celui que l’on surnomme NKC est avant tout un pionnier de l’entreprenariat social. Son slogan : « Laissons la bonté, l’équité et surtout l’amour prévaloir dans les affaires ; les profits suivront inévitablement ». Des collines du Rajasthan aux allées de MAISON&OBJET, Jaipur Rugs a bâti son développement sur deux bases : des racines ancestrales et un design résolument moderne destiné à un marché global.
« Laissons la bonté, l’équité et surtout l’amour prévaloir dans les affaires ; les profits suivront inévitablement »
L’aventure de Prem est l’une de ces milliers d’histoires qui font s‘écarquiller les yeux et suscitent l’admiration. Pendant plusieurs années, la jeune femme a pu élever ses trois enfants tout en tissant, jusqu’à huit heures par jour. Dans ces régions rurales, travailler loin du foyer pour une femme est inconcevable, et de toute façon, les transports sont aléatoires. Avec son mari, un ouvrier payé à la journée, ils faisaient partie de ces milliers de familles modestes des provinces reculées. De fil en aiguille, Prem est devenue superviseur. Payée au mois, sur son propre compte en banque, elle a acquis son autonomie financière. L’assurance venant, elle a … renvoyé son mari à l’école. Celui-ci est désormais professeur d’histoire après avoir passé un master.
Offrir la dignité en partage est une philosophie que NKC a embrassée très jeune. Issu d’une famille de commerçants aisés, du village de Churu au Rajasthan, il devait devenir banquier. Mais son intérêt pour l’art du tapis l’a conduit à installer ses deux premiers métiers à tisser dans la cour de sa maison et embaucher neuf tisserands. Faire travailler ces gens de basse caste n’a pas été très bien vu. Mais la passion et le sens commercial du jeune homme ont tout emporté. Quarante ans plus tard, Jaipur Rugs livre la laine à ses employés répartis dans 600 villages de cinq provinces Indiennes. Un tapis passe par 180 mains du tissage, au lavage, en passant par le stoppage et les finitions. Des superviseurs et des formateurs assurent la constance de la qualité. Depuis 2004, La Jaipur Rugs Fondation finance les écoles et les dispensaires pour assurer aux familles une vie meilleure. Au travers des 40 000 tisserands, ce sont en fait 130 000 personnes qui sont impactées par son action. Nand Kishore Chaudhary les a surnommés sa « caste créative ». Le designer italien Matteo Cibic a dessiné la dernière collection Jaipur Rugs. Il a fait le voyage jusqu’au Rajasthan. Il n’a qu’un mot à la bouche : « incroyable ». Il s’est inspiré des couleurs, des lumières, des ombres et de l’architecture de la ville rose pour dessiner des arches, des persiennes et des personnages stylisés à la façon des peintures moghol. Il est à présent l’ambassadeur de ces tisserands des provinces reculées, dont le travail rayonne désormais dans le monde entier.
Par Caroline Tossan