Alain Ellouz compose en albâtre des luminaires transparents au design épuré. Il réussit même à lui faire adopter des courbes aériennes. Magique.
Une première suspension semble légère comme un nuage, dont elle adopte les courbes rebondies. Une deuxième a l’air d’une Lune en apesanteur. La troisième est un serpentin luminescent ondulant comme le symbole de l’infini. Leur clarté est aussi douce qu’un soir étoilé. Ce n’est qu’en tendant la main pour les soupeser que l’on se rend à l’évidence : il s’agit bien d’albâtre, lourd comme la pierre, subtil comme un voile tissé d’une main céleste. L’Atelier d’Alain Ellouz est passé maître dans l’art de faire vibrer cette pierre, connue depuis l’antiquité pour sa douceur et sa limpidité. Depuis 17 ans, il perfectionne le métier de « menuisier de l’albâtre » peaufinant des techniques exclusives pour domestiquer ce matériaux friable jusqu’à lui donner des formes inattendues. « Nous sommes les seuls au monde à pouvoir produire des œuvres comme le luminaire Infinity, dit-il non sans fierté. Cela demande une technicité très précise, mais aussi un goût du risque. » Une imprécision, et le bloc se fend. Les courbes du luminaire Infinity sont le résultat d’un assemblage invisible de tronçons taillé en demi-tuyau, il faut alors choisir avec soin des veinures parfaitement assorties.
Plus l’on souhaite une pierre blanche, plus il faut creuser profond. Extraite plus en surface, elle est striée de veines noires de sédiments, qui font aussi d’admirables effets. Pour un globe parfaitement sphérique il faut tailler dans un bloc de 350 kilos puis patiemment l’évider à la main pour ne laisser qu’à peine un centimètre d’épaisseur et révéler la transparence de la pierre. L’art de l’assemblage, du polissage, la dextérité de la main et la subtilité de l’œil ont demandé des années de mise au point. « La simplicité de nos dessins permettent à l’albâtre de résonner comme une matière libre » explique le créateur. S’ajoute une façon très particulière de dissimuler l’éclairage afin de parfaire la magie. « On ne comprend pas d’où vient la lumière ». L’atelier Alain Ellouz édite ainsi depuis 2014 une collection de luminaires d’exception, dessinés par la designer Marion Biais-Sauvètre et un studio de cinq designers. « Elle s’est associée au début de l’aventure en 2005. J’ai eu deux chances dans ma vie : rencontrer l’albâtre et rencontrer Marion. » Au départ, l’entreprise a commencé par produire des murs entiers de pierre rétroéclairées, des bars précieux, avant d’inventer des parois pivotantes, des meubles lumineux, en collaboration avec des architectes et des décorateurs. L’Atelier a ainsi travaillé à l’aménagement des boutiques Van Cleef, Cartier, Chaumet, Dior… Puis est née la ligne de luminaires. «Nous avons traversé toutes les péripéties ensemble, raconte Alain Ellouz. L’albâtre est comme une allégorie de la vie entrepreneuriale. Chaque erreur a ses conséquences. Il faut accepter et faire de chaque accident une formidable opportunité. Il faut aussi prendre le risque d’oser. »
Rien ne prédestinait Alain Ellouz à travailler dans l’artisanat d’art. Entrepreneur dans l’âme, il avait rencontré son premier succès avec une entreprise d’informatique. Au hasard d’un stage de vacances, il s’essaie à la sculpture, et rencontre son destin. « Au lieu des deux heures prévues, j’y ai passé tout mon séjour ! » Puis vient la rencontre avec l’albâtre. « J’avais créé une sorte de tulipe, et j’ai eu l’idée de l’éclairer de l’intérieur. Dès qu’elle s’est éclairée, un monde s’est ouvert à moi. C’est comme s’il m’avait parlé. Je dis souvent que l’albâtre sans lumière est un monde sans musique. Cette pierre a une puissance incroyable. Depuis, il est un compagnon, sa présence est presque surnaturelle. » Adieu informatique, Alain Ellouz ose l’albâtre. En exposant à Maison&Objet, il séduit ses premiers décorateurs, grâce au design contemporain et épuré de Marion Biais-Sauvètre, qui révèle la modernité de cette pierre trop souvent traitée de manière désuète. Il ouvre un bureau à New-York, et conquiers le marché américain. Dans la continuité de cette révélation, l’entrepreneur découvre la méditation, au tournant d’une vie qui trouve son sens. Ses journées débutent désormais par une séance quotidienne, il s’accorde dix jours par an pour une pause de recueillement profond selon la technique de la méditation Vipassana. « Comme l’albâtre, cette philosophie vous enseigne que rien n’est grave ou définitif, c’est une attitude de liberté, d’acceptation des aléas, très importante pour un entrepreneur. » Poussant plus avant sa passion, Alain Ellouz crée une Fondation à son nom « pour l’albâtre » et propose à des artistes d’explorer toutes les possibilités de ce médium. Sculpture, peinture et gravure sur la pierre ouvrent de nouveaux horizons. « Les tableaux de maître s’appropriaient les paysages de l’albâtre pour leur donner une dimension artistique nouvelle. Nous sommes allés encore plus loin en introduisant la photographie, l’art numérique, la performance. On ouvre un champ des possibles ». Cette incursion dans l’art a déjà ses applications dans les collections qui peuvent être commandées sur-mesure, augmentées de la gravure ou de l’enluminure d’une artiste. Le grand art décoratif est de retour.
Par Caroline Tossan
Illustration ©Sarah Bouillaud